T31. Après la maison, refusons l’enfermement des enfants à l’école !
Photo : une école maternelle sous-covid !
Pour que l’école du déconfinement soit une école de la découverte, dans le strict respect des règles sanitaires, des lieux de culture et des espaces de liberté, aujourd’hui fermés.
Une Tribune* de La philosophe Barbara Cassin et de l’anthropologue Victor Legendre
« Que veut le gouvernement en rouvrant les écoles le 11 mai ?
Eviter l’écroulement de la nation en remettant un maximum de Français au travail. Pourquoi ça risque de ne pas marcher ?
Parce que les enfants ne sont pas les variables d’ajustement d’une politique volontariste.
Placer la santé et le bien-être des enfants avant l’économie, quoi qu’il en coûte ? Chiche ! Alors inventons et soyons généreux.
Refusons cette double logique d’enfermement : d’abord confinés à la maison pendant deux mois, puis maintenant gardés à l’école jusqu’à l’été. Refusons cette injonction perverse : la reprise des enfants se fera sur la base du volontariat, mais les parents qui refuseront de mettre leur enfant à l’école perdront leur droit au chômage partiel. A moins que le chef d’établissement ne leur fasse un mot d’excuse en reconnaissant qu’il est incapable de faire son devoir d’accueil !
Une autre solution est possible : proposer une école ouverte, à mi-chemin entre la rentrée des classes et les vacances. Au lieu de déconfiner l’école, en 54 pages de recommandations difficilement tenables, qui instaurent de nouvelles contraintes de confinement, ouvrons-la sur le dehors, c’est-à-dire sur la société. Et, quand c’est possible, sur la nature. Refusons d’enfermer !
Changeons de rythme, inventons !
Les enfants méritent mieux que d’être parqués dans des lieux clos. Les professeurs, les instituteurs, méritent mieux que de faire de la garderie et du flicage. Au lieu d’accueillir à grand-peine quelque 15 % des effectifs dans des locaux réaménagés à la hâte, ouvrons à tous les enfants les lieux de culture et les espaces de liberté, aujourd’hui inutiles et vidés de leur sens. Dans le strict respect des règles sanitaires, ouvrons pour eux les bibliothèques, les universités, les musées, les théâtres, les salles de cinéma, les parcs et les jardins, les complexes sportifs, les plages, avec les personnels et les professionnels qui sont aujourd’hui au chômage partiel. Tous ceux qui savent et peuvent travailler avec les enfants, des assistants maternels aux enseignants et aux bibliothécaires, des éducateurs sportifs aux moniteurs et aux animateurs de centre aéré, des gardiens de parc et de musée aux intermittents du spectacle, faisons-les tous participer à ce grand projet.
Les élèves décrocheurs, ceux qui sont sortis des radars virtuels, auront l’occasion de voir et d’aimer ce qu’ils n’ont peut-être encore jamais vu.
La culture pour tous, c’est le moment !
Prônons un déconfinement par l’ouverture totale de ce qui leur est si souvent fermé. Faire ainsi accéder au monde, c’est réduire les inégalités sociales. Les parents éduquent et l’école instruit ? Peut-être. Mais, pendant cette crise, oublions l’évaluation et la compétition, mélangeons les cartes. Proposons une réponse collective. Vacances ou pas vacances, changeons de rythme, inventons ! Que l’école ouverte pour tous commence. Et, à la fin de cet épisode de pandémie, nous aurons marqué les esprits.
A la question « que faire des enfants ? », une réponse : ouvrons-leur le monde. On parle du monde d’après, mais c’est aujourd’hui demain !
Barbara Cassin, philologue, philosophe et médaille d’or du CNRS, a été élue en 2018 à l’Académie française. Elle a notamment écrit « Eloge de la traduction. Compliquer l’universel » (Fayard, 2016) et « Quand dire, c’est vraiment faire : Homère, Gorgias et le peuple arc-en-ciel » (Fayard, 2018).
Victor Legendre enseigne à l’université Nice-Sophia-Antipolis, il est également entrepreneur.
Par Barbara Cassin et Victor Legendre
*Tribune publiée dans Le Monde, jeudi 14 mai 2020