T17. Le Petit Nicolas retourne à l’école le 11 mai…

En Hommage à Goscinny, un texte paru sur http://pedasolidaires.org/ à retrouver ci-dessous avec le titre original !

Le retour en classes même « progressif » ne passe pas. Un exemple :

http://www.cnt-f.org/cnt69/pas-de-reouverture-de-classe-sans-securite-pour-les-eleves-et-le-personnel/

ON EST RETOURNÉS À L’ÉCOLE

Ce matin, je me suis réveillé très tôt, j’étais drôlement content parce que j’allais enfin revoir les copains !


Avant de partir, maman m’a dit de ne pas oublier de me laver les mains régulièrement avec du savon et de mettre mon masque en arrivant à l’école. Elle avait l’air un peu triste que je ne reste pas avec elle aujourd’hui, c’est vrai que ces dernières semaines, elle a passé des journées formidables avec toutes les cabanes terribles qu’on a construites dans ma chambre pendant que papa parlait avec monsieur Moucheboume dans le salon, enfin sur l’ordinateur du salon parce qu’il n’avait pas le droit d’aller au bureau, évidemment.


Devant l’école, le Bouillon (c’est le surveillant) nous a fait rentrer directement dans la classe un par un. La maitresse nous avait fait une surprise, elle s’était déguisée avec une sorte de casque en plastique sur le visage, un tablier et des gants. Ce n’était pas très réussi, mais pour lui faire plaisir je lui ai dit qu’elle était un très chouette samouraï.


Elle nous a dit de mettre chacun nos masques si on en avait apporté. Geoffroy a dit que son papa qui était le chef d’une usine en Chine lui avait donné un masque FFP2, un truc terrible qui protège contre toutes les maladies. Et il a rigolé en disant que nos masques à nous, ils ne servaient à rien. Rufus a dit que lui aussi, son papa lui avait donné un masque de sécurité spécial pour les policiers. La maitresse leur a dit d’arrêter et qu’elle ne pouvait pas les envoyer au coin parce que tous les coins étaient à moins d’un mètre de distance d’un copain, et qu’elle avait eu bien assez de mal comme ça à installer les bureaux à un mètre les uns des autres, mais qu’elle parlerait directement à leurs papas si ça recommençait.


Elle a dit que ceux qui n’avaient pas apporté de masques devaient lever la main, qu’elle leur donnerait des jolis masques que des dames d’une association avaient cousus spécialement pour qu’on puisse revenir à l’école en sécurité. Clotaire qui avait oublié son masque a reçu un masque à fleurs qui nous a fait beaucoup rigoler. Moi j’ai sorti le masque Pokemon que maman m’avait cousu dans un vieux pyjama et je l’ai mis comme maman m’avait montré. Ça grattait drôlement le nez et les oreilles mais heureusement les crayons de couleur sont très commodes pour se gratter quand on a un masque.


Quand on a tous été masqués, la maitresse nous a expliqué que si on ne voulait pas retourner en confinement, il fallait bien appliquer les gestes barrière. Mais comme on n’entendait pas bien ce qu’elle disait à cause de son déguisement, qui lui faisait une voix de cosmonaute, elle nous a juste montré une affiche avec des tas de croix qui était accrochée à côté du tableau.


Ensuite elle nous a distribué des feuilles, et elle nous a dit qu’on pouvait faire un dessin de ce qui nous plaisait. Ce chouchou d’Agnan a levé la main, et il a demandé pourquoi on ne corrigeait pas plutôt les 17 fiches de conjugaison que la maitresse avait envoyées aux parents pendant le confinement. La maitresse a dit qu’on avait d’abord besoin de se retrouver un peu tous ensemble et de se parler, et qu’on reprendrait le travail après la récréation.


Pour faire plaisir à la maitresse, j’ai essayé de dessiner un samouraï-cosmonaute. Maixent a demandé s’il pouvait m’emprunter mon crayon rouge et aussi mon orange pour faire la flamme de son dragon, et la maitresse lui a dit oui, mais qu’elle devait d’abord nettoyer les crayons avec du gel hydroalcoolique. Alors Maixent lui a apporté mes crayons, et Joachim s’est levé pour lui apporter l’équerre qu’Eudes lui avait prêtée, et qui était en fait la sienne, qu’il lui avait empruntée avant le confinement et qu’il lui avait rendue ce matin. La maitresse a soupiré, et ça a fait une drôle de buée sur son casque mais on s’est tous retenus de rigoler, puis elle nous a dit de tous rester à nos places et de ne plus approcher du bureau sans respecter les lignes collées au sol. On a parlé de nos dessins et puis c’était déjà l’heure de récréation. On a dû sortir de la classe un par un et en faisant un rang très espacé.


Rufus a trouvé qu’avec nos masques on avait tous l’air de bandits comme dans les westerns et que c’était terrible. Il a dit que comme son papa était policier, il allait être le shérif, et il a mis son masque autour du cou pour faire comme Lucky Luke. Aucun copain ne voulait jouer à se faire attaquer, alors on a dit à Clotaire qu’il n’avait qu’à mettre son masque à fleurs sur la tête pour faire une vieille dame. Rufus a demandé si on avait bien le droit de jouer comme ça avec les gestes barrière, mais j’ai dit que comme on faisait semblant, ça ne comptait pas de toute façon, et on a commencé une partie terrible d’attaque de diligence mais le Bouillon est venu nous dire de refaire le rang en se mettant chacun à un mètre derrière un copain.
En rentrant en classe la maitresse a regardé Alceste l’air inquiet, il faut dire que les taches de confiture ressemblaient drôlement à du sang. Alors Alceste a demandé s’il pouvait retirer son masque parce qu’il était tout collant, la maitresse a encore soupiré et ça a refait un drôle de nuage dans son casque, et puis on s’est mis aux fiches de conjugaison. Mon papa est vraiment très fort en conjugaison, il avait eu tout bon aux exercices et la maitresse m’a même félicité.


C’était vraiment chouette de retrouver les copains même si à cause des gestes barrière, on n’a pu faire gymnastique. Mais je crois que la maitresse, elle n’avait pas très envie de faire gymnastique en fait. Elle avait l’air drôlement essoufflée quand elle nous a dit au revoir…

Hélène Raux, prof de français en collège REP à Montpellier