Hommage à un frère de lutte, Achour Idir
C’est avec une profonde tristesse que la Confédération Nationale du Travail (CNT) de France, via son secrétariat international et sa Fédération des travailleurs de l’éducation, a appris jeudi 4 avril le décès soudain, au matin, de notre cher camarade Achour Idir, secrétaire général du Conseil des Lycées d’Algérie (CLA), un syndicat autonome, très actif depuis de nombreuses années dans le pays. Outre un camarade de longue date, nous perdons également un ami proche.
Nous exprimons toutes nos condoléances à sa famille et à ses proches
ainsi qu’à ses camarades du CLA et du PST (Parti socialiste des
travailleurs) dont il était membre. Il s’agit d’une très grande perte
pour le syndicalisme autonome et les luttes en Algérie, mais aussi pour
les militants révolutionnaires qui l’ont connu à travers le monde.
Achour était un membre fondateur du CLA. Après la disparition brutale du
secrétaire général Redouane Osmane, en 2007, il avait repris le
secrétariat et avait oeuvré sans relâche avec ses camarades à la
création de syndicats locaux dans différentes wilayas, aboutissant
aujourd’hui à une implantation sur 48 wilayas. Il donnait l’importance
au travail de terrain, sans cesse présent pour accompagner les créations
de sections, dans toutes les régions du pays, pour former, échanger,
rassembler sans relâche tout en ayant un poste de professeur, refusant
tout détachement syndical.
Après des premiers contacts établis en 2003 peu après la création du
CLA et la grève de trois mois (nous avions rédigé un article pour la
revue Afrique 21), des militants du secrétariat international de la CNT
avaient rencontré pour la première fois Achour en 2008, au Forum social
maghrébin, qui se tenait à El Jadida, au Maroc. (1)
Nous l’avions ensuite revu, en tant que mandaté du CLA, à Oujda au Maroc
en 2008, lors de la rencontre fondatrice de la Coordination syndicale
euro-méditerranéenne qui regroupait au départ différents syndicats de
travailleurs et chômeurs, d’Europe et du Maghreb, sur une base de
solidarité internationale de lutte de classe et anticapitaliste. Dès
cette première rencontre des échanges percutants nous rapprochaient
fortement, que ce soit sur la vision du syndicalisme comme de
l’auto-organisation des luttes. Il était animé d’un profond respect et
d’un grand intérêt pour l’anarchosyndicalisme et le syndicalisme
révolutionnaire.
Autre point commun avec la CNT, Achour se battait pour le développement
d’un syndicalisme de lutte de classe, contre les formes de
bureaucratisation, maintenant la position au sein de son syndicat du
refus de permanents syndicaux, assurant la place des jeunes et des
femmes dans l’organisation.
Il était de tous les combats contre les injustices sociales et au plus
proche des plus précaires. A l’image de sa présence dans la lutte des
enseignants contractuels, lors de laquelle il avait participé en mars
2016 à la grande marche de Béjaïa à Boudouaou (plus de 280km), pour leur
titularisation.
Achour défendait un syndicalisme sans frontière. A ce titre, sous son
impulsion, le CLA a assisté à plusieurs congrès confédéraux de la CNT
et de notre Fédération des travailleurs de l’éducation (congrès fédéraux
de La Freychède – Ariège – en 2012, congrès de Ligoure – Haute-Vienne –
en 2014, congrès de Paris en 2016). Achour y était présent à chaque
fois accompagné d’autres camarades dans une volonté de ne pas être le
seul en contact avec les militants de la CNT, pour que les militants du
CLA rencontrent d’autres militants et assistent aux discussions qui se
déroulaient dans les congrès, voient le fonctionnement d’un autre
syndicat.
Son intervention au congrès de 2012, alors que notre fédération se
posait des questions sur les élections professionnelles, était axée sur
la nécessité de refuser les permanents syndicaux et de rester en marge
des bureaucraties, de ne jamais rentrer dans la concurrence syndicale,
d’acquérir sa légitimité par la lutte. Le tout en restant lucide sur les
difficultés que cela pose, le CLA n’étant alors pas reconnu. « On
travaille dans une forme d’illégalité parce qu’on refuse d’entrer dans
le système. On le paie parce que les gens ont peur d’être dans un
syndicat non reconnu : l’idée n’est pas remise en cause mais
l’illégalité pose problème.»
Achour défendait un syndicalisme sans frontière. A ce titre, sous son impulsion, le CLA a assisté à plusieurs congrès confédéraux de la CNT et de notre Fédération des travailleurs de l’éducation (congrès fédéraux de La Freychède – Ariège – en 2012, congrès de Ligoure – Haute-Vienne – en 2014, congrès de Paris en 2016). Achour y était présent à chaque fois accompagné d’autres camarades dans une volonté de ne pas être le seul en contact avec les militants de la CNT, pour que les militants du CLA rencontrent d’autres militants et assistent aux discussions qui se déroulaient dans les congrès, voient le fonctionnement d’un autre syndicat.
Son intervention au congrès de 2012, alors que notre fédération se posait des questions sur les élections professionnelles, était axée sur la nécessité de refuser les permanents syndicaux et de rester en marge des bureaucraties, de ne jamais rentrer dans la concurrence syndicale, d’acquérir sa légitimité par la lutte. Le tout en restant lucide sur les difficultés que cela pose, le CLA n’étant alors pas reconnu. « On travaille dans une forme d’illégalité parce qu’on refuse d’entrer dans le système. On le paie parce que les gens ont peur d’être dans un syndicat non reconnu : l’idée n’est pas remise en cause mais l’illégalité pose problème.»
Dans une relation de réciprocité, le CLA a invité la CNT à ses universités d’été et à son premier congrès en décembre 2017. Des pistes pour des formations communes en avaient émergées.
Le CLA, et Achour de façon infatigable, soutenaient les luttes contre la précarité en Algérie, mais aussi internationalement, mettant en avant l’importance de ces luttes au Nord comme au Sud de la Méditerranée au sein de la coordination. Ainsi, face aux soulèvements populaires qui ont traversé les pays du Nord d’Afrique en 2011, avec en fer de lance les chômeurs et leurs divers comités qui s’organisaient, la coordination, et avec en son sein le soutien actif du CLA et de la CGT-E, a facilité et soutenu matériellement une rencontre des différents comités de chômeurs du Maroc, d’Algérie et de Tunisie. Cette rencontre difficile à mettre en place, initiait pour beaucoup d’entre eux des contacts qui se sont maintenus jusqu’à aujourd’hui.
Face à la réalité syndicale en Algérie, Achour a toujours poussé à un travail syndical unitaire pour construire un vrai rapport de force et pour parvenir à une grève générale. En témoignent la création récente de la Confédération des Syndicats Autonomes (CSA) (qui regroupe 13 syndicats) et le maintien constant de relations avec des syndicalistes combatifs de sections de locales de l’UGTA (centrale syndicale majoritaire, qui couvre largement le privé, mais bureaucratisée et à la botte du pouvoir).
Depuis le 22 février 2019 en Algérie, début du soulèvement populaire, Achour faisait partie de ceux qui n’ont cessé de pousser à l’auto-organisation dans les lieux de travail et les quartiers, et pour le départ de grèves unitaires dans différents secteurs, pour que le mouvement syndical rejoigne activement ce soulèvement.
La lutte continue car seule la lutte paie !
La CNT a mandaté une camarade pour se rendre à Tichy, son village, dans les hauteurs de Béjaïa, pour être présente aux côtés de ses camarades et sa famille, le jour de son enterrement, le 5 avril 2019. Beaucoup de monde avait fait le déplacement. C’était quelqu’un de rassembleur. Une grande marche en son hommage a eu lieu à Béjaïa. Puis l’enterrement après différentes prises de paroles, dans l’école réquisitionnée pour cela à Tichy. Un moment particulièrement émouvant, et à son image, avec banderoles, drapeaux et chants révolutionnaires des camarades la gorge serrée et le poing levé.
La CNT a assisté aux mobilisations en Algérie jusqu’au 13 avril, première semaine de répression depuis le début du mouvement. Premières arrestations et empêchements d’occuper l’espace public. Cela a commencé par des syndicalistes de sections locales de l’UGTA en rassemblement contre la bureaucratie arrêtés le samedi 6 avril, relâchés ensuite. Puis différents militants de gauche sur Alger ont lancé des appels à rassemblement quotidien à 17h, devant la grande poste. Tous les soirs la police était fortement déployée pour empêcher leur présence, avec des arrestations musclées.
Après l’annonce de la démission de Bouteflika, c’est l’équivalent d’un coup d’Etat par jonglages juridiques auquel les Algériens font face. Gaïd Saleh, chef d’Etat major de l’armée, déclarait qu’il fallait appliquer l’article 102, c’est à dire la reprise du pouvoir par transition par la tête de l’équivalent du sénat, Ben Saleh. Le jour de l’établissement officiel de celui-ci, le mardi 9 avril, les étudiants étaient mobilisés nationalement et massivement. Sur Alger c’était la première démonstration de force du pouvoir. Les étudiants ont réussi à forcer différents cordons de polices pour arriver jusqu’à la place de la grande poste, et malgré les canons à eau et les gaz, ils ont réussi à tenir toute la journée.
Le lendemain la manifestation des syndicalistes, pour la grève nationale des services publics appelée par la CSA, a été empêchée de démarrer place du 1er mai : gazage direct avant le début. Une vingtaine de syndicalistes ont été arrêtés dès 8h du matin, relâchés en fin de journée.
Mais la mobilisation était énorme, les manifestants ont contourné et forcé le passage malgré différents points d’affrontement, pour atteindre la grande poste, où les étudiants étaient présents contre la répression. Des banderoles en hommage à Achour ont été accrochées en haut de la place. Le centre d’Alger était noir de monde, des slogans « klitou leblad, ya saraqin » (ils ont bouffé le pays bande de voleurs), « Ben Saleh, dégage ! Gaïd Saleh, dégage ! » ou encore « Chaab yourid, yetnahew gaa » (le peuple veut qu’ils dégagent tous ») et un déploiement massif de forces de répression. La journée s’est terminée par une trentaine d’arrestations et l’annonce par Ben Saleh d’une convocation de prochaines élections le 4 juillet.
Le 12 avril, pour le 8ème vendredi de mobilisation massive des Algériens, la presse et les militants font le constat d’une mobilisation plus grande que d’habitude dans beaucoup de villes. Premier vendredi réprimé, toujours sur Alger. Il y a eu toute la journée des tentatives de blocage par des cordons de police qui ont voulu dégager les manifestants tôt le matin des escaliers de la grande poste ; ou encore de réprimer par gaz et canons à eau. Mais la police était totalement dépassée par le monde présent et s’est faite littéralement dégager à différents endroits. En fin de journée, alors que la majorité de la population quittait le centre, c’est une grande répression qui a eu lieu à Alger : 85 blessés et 250 arrestations.
Le lendemain au moment des rassemblements quotidiens du soir, plus d’une dizaine d’arrestations. Les femmes arrêtées ont été humiliées et totalement mises à nues au commissariat, avant d’être relâchées.
Des mobilisations et des débrayages ont lieu dans différentes villes tous les jours. Des collectifs féministes s’organisent également. Au sein de l’UGTA les sections locales se rassemblent pour le départ de la bureaucratie syndicale. Plusieurs camarades (syndicalistes, militants, étudiants) voient cela d’un très bon œil, espérant une jonction pour un appel commun enfin à une grève générale public et privé. D’ores et déjà un refus des élections du 4 juillet a été annoncé, par les manifestants, mais aussi par exemple l’ensemble des maires de la wilaya de Béjaïa, ou encore les juges.
Le combat continue, solidarité internationale !
Le secrétariat international de la CNT,
et la Fédération des Travailleur.se.s de l’Education de la CNT.
Pour plus d’informations sur le mouvement en cours, vous pouvez vous référer au site du secrétariat international où on mettra des mises à jour régulières : www.cnt-f.org/international
(1) http://www.cnt-f.org/international/Le-syndicalisme-autonome-algerien-l-exemple-du-CLA.html