La Mauvaise herbe n°9 est sortie

Édito :

L ’été c’est super. Et quand on est en vacances c’est encore mieux. On se soucie moins du temps qui passe, il est moins fracturé par les horaires du taf. L’espace s’agrandit, on peut bouger, voir des coins qu’on méconnaît, sentir des airs nouveaux. Et puis, on se préoccupe moins de ce que les costumes dans leurs bureaux climatisés manigancent pour détruire plus encore le monde. On s’en préoccupe tellement peu qu’on peut négliger de relever sa boîte aux lettres. Et c’est à la rentrée que les mauvaises surprises débarquent, entre deux cartes postales avec des chatons dessus. « Monsieur, dans l’intérêt du service, vous êtes suspendu de votre affectation actuelle et serez bientôt muté ailleurs. Ceci n’est pas une sanction ». C’est en substance ce qu’un enseignant du lycée Joliot‐Curie de Nanterre a pu lire en cette rentrée 2022. Comme ça, sans plus de précisions.

Cette façon de procéder, on la connaît : depuis la réforme de la fonction publique d’août 2019 (promulguée pendant l’été, tiens tiens), la mutation imposée par les autorités rectorales n’est plus une sanction, car elle se fait dans l’intérêt du service. Quel intérêt ? Quel service ? On n’en sait foutre rien, c’est au rectorat qu’on décide de ce qu’intérêt et service sont. Depuis que ce petit joujou lui a été donné, la hiérarchie de l’Éducation nationale s’amuse à l’utiliser pour tout, et surtout rien. En effet, les dossiers des travailleur·ses muté·es sont vides.

On se retrouve démuni : le langage de cette nouvelle façon d’administrer ne s’embarrasse pas d’argument, et à plus forte raison, de justification. Sur quoi s’appuyer pour faire face à ce glacial silence de l’État ?

Le langage est notre outil commun, celui par lequel on rend intelligibles nos idées aux autres. En temps normal, la barrière de la langue n’est pas infranchissable. Nos camarades zapatistes peuvent faire passer leurs idées du tzotzil au castillan, et peut‐être peut‐on du castillan les faire transiter en français. Ainsi pouvons‐nous converser et espérer apprendre les un·es des autres.

Même dans une langue commune, on peut discuter des heures sur la définition de certains mots. C’est même au cœur de nos pratiques autogestionnaires à la CNT. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que ce thème du langage nous a paru évident pour cette édition de La Mauvaise herbe que vous tenez entre vos mains. D’aventures pédagogiques inventives en Bretagne au texte libre en Seine‐Saint‐Denis, en passant par une étude sur l’argot et son monde ou la circulation de la parole entre adultes réuni·es, nous questionnons ici le sens des mots, leur pouvoir, qu’on déteste ou emploie, c’est selon.

Aussi, face au raidissement du pouvoir ultra‐libéral qui se sait condamné, on ne peut que pleurer une nouvelle victime : le langage. Articulé comme la peau d’un cadavre qu’on aurait vidé de tout mais qu’un marionnettiste sociopathe agiterait pour faire croire qu’il vit encore. Leur langage pourrit. On le sent, on le sait. Il nous reste donc à nous séparer du langage du pouvoir pour inventer et nous approprier une autre façon de parler. Et face au pouvoir armé, d’autres façons d’interagir pourraient s’imposer.

Mais avant de poursuivre ce chantier, on peut s’arrêter pour saluer Claude, dont l’imaginaire graphique illustre la couverture du numéro : kolaval camarade !

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